Au Cameroun, le secteur de la fabrication des savons de toilette a du mal à attirer les investisseurs. Les quelques promoteurs qui existent dans ce milieu, restent peu connus du grand public. Du coup, leurs productions sont plombées par les savons de toilette d’origine étrangères, qui, restent prisés par les consommateurs. Mais, pourquoi ce secteur de la fabrication des savons de toilette « made in Cameroun » a encore du mal à décoller ? Le secteur est-il suffisamment encadré pour attirer les investisseurs ? Tentative de réponse dans cette enquête de Ghislaine Deudjui.
Saponification : Les savons de toilette made in Cameroun, ne moussent pas assez
Les produits cosmétiques de marques étrangères prolifèrent dans les espaces marchands au Cameroun. Pourtant, les marques locales existent.
Difficile de trouver dans les espaces marchands notamment parfumeries, supermarchés, échoppes etc. des savons de toilettes made in Cameroun. Pourtant ces produits sont aussi fabriqués au Cameroun. Anette T., est une consommatrice friande de savons de toilette locaux faits à base de plantes naturelles. Dans l’une des parfumeries du quartier Ndogbong à Douala, Anette T. parcours inlassablement le rayon des savonnettes, sans succès. Désolée de ne pas trouver le savon qu’elle recherche, elle se renseigne auprès des vendeuses, pour en savoir plus. « Nous ne vendons pas les savons de toilette locaux ici, la plupart des savons exposés sur nos comptoirs sont importés », lance la vendeuse avec désolation et l’air surpris par la requête de la cliente.
En outre, cette parfumerie n’est d’ailleurs pas la seule à ne proposer à ses clients que des produits cosmétiques fabriqués à l’étranger. A quelques kilomètres de celle-ci, se trouve une autre parfumerie. Ici, se sont uniquement les marques étrangères qui recouvrent les rayons. Le constat est le même dans les grandes surfaces marchandes, notamment supermarché. C’est le cas au supermarché « Mon ami » au quartier Akwa. Dans le rayon réservé aux savonnettes et laits de toilette, une panoplie de produits cosmétiques de marques étrangères attire la clientèle. A l’instar du savon Sivoderm, Bio-clair, savon Chat, Dentol etc.
Idem au supermarché Mahima, où les savons cosmétiques écoulés proviennent en majorité d’Europe, d’Asie et de l’Afrique de l’Ouest. Le marché Mboppi de Douala, qui accueillent un grand nombre de produits venus de l’extérieur est la preuve formelle du phénomène de prolifération des savonnettes de marques étrangères sur le marché local. « La plupart des vendeurs proposent à leurs clients des savons qui viennent d’ailleurs, sauf les savons de ménages », affirme Alain Noah, gérant d’une parfumerie au marché Mboppi à Douala. A en croire ce dernier, les savons de toilette made in Cameroun sont moins visibles sur les étals. « Mais des fois, il y a des vendeurs ambulants qui proposent des savonnettes à base d’argile verte et d’aloe vera, qui semblent avoir été fait ici, vue l’emballage », ajoute-t-il.
Les savons de toilettes de marques locales sont moins visibles sur nos étals certes. Mais quelqu’un d’entres eux sont exposés dans certaines surfaces marchandes. C’est le cas notamment du savon Medibène. Présenté par ses pairs comme un savon médicinal artisanal, pour lutter contre les infections cutanées, boutons et tâches. Ce savon est vendu au supermarché Kdo à Bonapriso. De plus, il n’est d’ailleurs pas le seul savon proposé par les promoteurs à la clientèle camerounaise. Une multitude de savon proposé par les laboratoires phytorica, fait aussi sensation, il s’agit notamment du savon Mediclair, Armiel etc. qui sont des marques camerounaises et fait à base de plantes naturelles. Mais, elles ne restent pas très connues du grand public.
Difficultés :Le manque de financement fait ombrage aux producteurs locaux
La main d’œuvre n’est pas qualifiée et les équipements restent couteux pour booster ce secteur encore mal structuré.
L’accès au financement est un véritable chemin de croix pour les fabricants de savons de toilette au Cameroun. Cette situation « freine l’activité des producteurs et leur fait ombrage », affirme Jean aimé Wokhui, promoteur d’une marque de savon camerounais. Depuis plusieurs années, ce fabriquant de savonnettes semble préoccuper par l’acquisition des financements pour produire en grande quantité. « Elle est primordiale et nous empêche réellement de promouvoir notre art », indique t-il. Un manque de financement, qui trouverait son origine dans la réticence des institutions bancaires à octroyer du crédit aux promoteurs de ce secteur plus ou moins embryonnaire. « Ce n’est guère facile de s’aventurer dans ce domaine quand on manque de moyen financier. Surtout que les banques préfèrent financer les projets qui rapportent rapidement, notamment le commerce », fait savoir Mme Kenfack, une productrice de savons.
Hormis l’accès au financement, l’acquisition de la matière première préoccupe. Au Cameroun, les producteurs utilisent plusieurs ingrédients dits naturels pour la fabrication des savons de toilette. Il s’agit entre autres de l’argile verte, de la graine de karité, du cacao, de l’huile d’argan, de l’aloe vera, du miel etc. Des matières premières, dont le niveau de production n’est pas assez important pour satisfaire la demande des fabricants locaux de savons de toilette, qui s’essayent de produire en grande quantité. Du coup, « Les producteurs de ces matières premières sont obligés de récolter en grande quantité et gérer les stocks pour toute l’année avant d’attendre la prochaine saison. Mais, ce qui est stocké ne suffit pas toujours », indique un producteur de beure de Karité.
Plusieurs autres facteurs, empiètent sur le développement de ce secteur de fabrication de savons de toilette locaux. Il s’agit entre autres de l’absence des mesures de renforcement des différents sous métiers liés à la production des savons de toilette. Notamment l’agronomie, agro-industrie, commercialisation des produits chimiques, commercialisation des instruments de mesures, de contrôle qualité et des équipements de protection etc. Consultant et formateur international en saponification, Martial Bella Oden, relève en outre que ce secteur souffre d’un manque criard de main d’œuvre suffisamment qualifié. « Au Cameroun l’on fait face à l’inexistence des programmes de formation dans des universités et grandes écoles ayant des filières chimie ou agro-industrie, des centres professionnels de formation et des programmes de vulgarisation des bonnes pratiques de production par des experts locaux », analyse-t-il.
Le manque d’organisation et de structuration des acteurs du secteur, contribuent aussi à freiner les investisseurs dans ce secteur encore embryonnaire. Pareil que le coût élevé des équipements. L’on apprend qu’au Cameroun pour acquérir une boudineuse (machine à affiner la pâte de savon Ndlr), il faut débourser au moins 10 millions de FCFA. Soit deux à trois fois plus que, le capital social et même le chiffre d’affaires des petites et moyennes entreprises qui se sont déjà lancées dans le secteur.
Autant d’obstacles, qui ne permettent même pas à ces PME de satisfaire la demande locale en savon de toilette « made in Cameroon ». Au début de l’année 2015, la société Biocharis a produit près de 3500 savons de toilette Doulos. Une quantité qui a été vite épongée en l’espace de trois mois, « pourtant la demande des clients n’a pas cessée », confient les responsables de Biocharis, qui, ambitionne de produire près de 5000 savonnettes par semaine. Mais, cette production « va dépendre du financement. Car, de l’argent, nous pouvons faire de la publicité audio-visuelle, pour communiquer encore plus sur nos produits et améliorer le packaging », affirme Jean Aimé Wokhui.
Consommation : Les Camerounais obnubilés par les savonnettes étrangères
Les marques locales restent boudées, et le secteur commence à être sous l’emprise de fabricants de mauvais produits, faute d’un système de contrôle national.
Au rayon parfumerie d’un supermarché de la place à Douala samedi 11 avril 2014, une dizaine de femmes agglutinées à cet endroit, se procure des savonnettes de marques différentes notamment, Dove, Nivea, Sivoderm. Toutes issues de l’étranger. Reine Biyiha, l’une des clientes de cet espace marchand est une fervente utilisatrice des produits de beauté de marque « Nivea ». « Je n’utilise que ca, c’est reconnu par les spécialistes comme étant un bon produit pour la peau », fait savoir la jeune femme de 40 ans. Elle, comme plusieurs autres clientes ignore l’existence des savons de toilettes de marques camerounaises.
Certains consommateurs restent même surpris de savoir qu’au Cameroun, l’on fabrique des savons de toilette localement. Nicole T., étudiante en master dans une école supérieure de gestion, utilise depuis plusieurs années des savons de toilette qui viennent de l’étranger. « Je ne savais pas qu’on en fabriquait dans notre pays », lance cette étudiante, étonnée. Pourtant, il existe environ une vingtaine de savonnettes made in Cameroun, fait à base de plantes naturelles. Dont, nombres de Camerounais ignorent l’existence. Il s’agit entre autres du savon Argila, Kari, Adjap, du savon Kora fait respectivement à base d’argile verte et blanche, de miel et de beure de karité. « Mais, un grand nombre de camerounais ne connaissent pas et continue d’utiliser les produits occidentaux, sans même se soucier de la santé de leur peau », indique Jean Aimé Wokhui, fabricant de savon naturel. Selon les producteurs des savons de toilette locaux, se sont généralement les occidentaux qui sont friands de ces savons fabriqués localement. « Ils achètent en grande quantité, ils ont connaissance de la valeur du produit. Les camerounais achètent la plupart du temps par simple curiosité », affirme l’un des responsables de la pharmacie santé et nature à Bonapriso.
En outre, les consommateurs de ces savons locaux, se plaignent plutôt de leur cherté. « Ils sont chers et peuvent valoir entre 1000 et 3000FCFA le morceau de 120 à 125g, pourtant vous pouvez avoir un savon étranger de 230g à 900 FCFA », indique une consommatrice. Selon Mme Thamy, l’une des responsables de la boutique Naturalia au quartier Akwa à Douala, « c’est la qualité qui importe, surtout qu’ils sont fait à base de plantes naturelles et huiles essentielles et sont adaptés pour tout type de peau », affirme cette dernière. En plus, expliquent les fabricants des savons de toilette locaux, la cherté de leurs produits, est consécutive à la cherté du coût de la matière première ; très rare.
Toutefois, certains consommateurs des savons de toilette « made in cameroon », estiment que bon nombre de ces savons sont souvent de mauvaise qualité. « Parfois après usage des savons locaux, la peau se froisse et devient blanchâtre, ce sont de pareilles conséquences qui nous incitent aussi à acheter les savons de marques étrangères », défend Alice Emoo, ménagère. Sur ce, nombre de producteurs reconnaissent la faible culture des études de faisabilité de la plupart des acteurs du secteur. « Ils sont nombreux qui travaillent avec légèreté, et mettent de mauvais produit sur le marché. D’où ce type de remarque après usage. Pour éviter ces dérives, les autorités devraient définir et mettre en place un système de contrôle des savons de toilette produits localement », indique Martial Gervais Oden Bella, expert en saponification.
Martial Gervais Oden Bella
« Il faut un laboratoire national de contrôle des produits cosmétiques »
Le consultant formateur international en saponification propose des voies pour développer le secteur de la fabrication des savons de toilette au Cameroun.
Selon vous qu’est-ce qui peut expliquer qu’aujourd’hui les entrepreneurs locaux ont encore du mal à s’intéresser au secteur de la fabrication des savons de toilette ?
A mon avis, c’est une question de culture collective entrepreneuriale. On entreprend plus dans un secteur parce qu’on a vu un tiers réussir dans ce secteur ou alors que le produit fait partie des produits de grande consommation. Les entrepreneurs se penchent plus vers les domaines du savon de lessive et des savons d’hôtels, qui selon eux sont des savons à fort potentiel de marché. Un autre fait est aussi que la majeure partie des entrepreneurs sont des hommes qui ne se penchent pas trop vers des produits de beauté ou d’hygiène corporelle contrairement aux femmes. En dehors bien sûr des spécialistes de la cosmétique, de la chimie industrielle ou de la pharmacologie. Enfin, il y a aussi des habitudes de consommation plus tournées vers des produits importés. Les consommateurs rechignent sur les savons de toilette fabriqués localement, car ils sont très exigeants sur le plan de la qualité et de l’aspect apparent des produits. Raison pour laquelle leurs préférences sont toujours orientées vers les produits importés. Un bon savon de toilette doit obéir aux critères de qualité suivant : Absence de bulles d’airs, bon pouvoir nettoyant, et adoucissant, présence de mousse lors de l’usage et Ph compris entre 9 et 10 et il doit avoir un conditionnement assez attrayant.
Effectivement, les consommateurs se plaignent de la mauvaise qualité de certains de ces savons de toilette, n’y a-t-il pas un contrôle sur ces produits mis sur le marché ?
Il n’a pas un système de contrôle national de ces savons de toilette fabriqués localement. Donc, pas de réglementation en vigueur. Même ce système est mis en place, cela doit être réalisé conjointement entre les ministères en charge de l’industrie, de la santé, des PME, du Commerce… De toute façon pour que ce secteur ne soit pas à la longue confisqué par des brebis galeuses, qui mettent sur le marché des produits dangereux pour la peau, il faut un laboratoire national de contrôle des produits cosmétiques et d’hygiène corporel. Pour le moment on a juste le laboratoire national d’expertise médicale (Lanacome), qui ne s’occupe en principe que de tout ce qui est médicale. Le secteur de la fabrication des savons de toilette, est florissant pour les investisseurs mais il faut minutieusement l’organiser et l’encadrer.
Qu’est ce qu’il faut faire pour inciter les producteurs locaux à fabriquer ce genre de savons ?
Il faut entreprendre un grand nombre d’action, notamment l’information sur les possibilités d’entrepreneuriat dans ce domaine, la vulgarisation des bonnes pratiques de production auprès des personnes qui s’essaient déjà dans ce secteur de savon de toilette et éprouve encore de nombreuses difficultés sur le plan technique. Le livre savon et détergent de la collection pro agro (Co édité par ISF Cameroun et le CTA) est un pas en avant dans ce domaine. Il faut également renforcer les différents sous-métiers, liés à la production des savons de toilette. Une exonération de la taxe sur la valeur ajoutée sur les savons de toilette fabriqués localement, pourrait encourager les investisseurs dans ce secteur. Concernant les matières premières naturelles de base, il faudrait faciliter l’accès à travers le renforcement des différentes filières oléagineuses conventionnelles et non conventionnelles pouvant être saponifiées. Tout de même, cela passe par la formation des techniciens spécialisés dans la production de ce type de savons qui pourront servir de main d’œuvre qualifié dans des unités de production. Néanmoins, il faut encourager les entrepreneurs à toujours réaliser des études de faisabilité de leurs projets en vue de définir le type de savon de toilette qui sera le mieux adapté à son marché et qui pourrait permettre un retour sur investissement rapide. Aussi, promouvoir le made in Cameroun à travers la limitation par des entrepreneurs locaux de l’importation de ce type de savon au profit de la distribution des savons de toilette locaux répondant aux standards ou normes internationaux.
Propos recueillis par Ghislaine Deudjui
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